Tuesday 26 January 2016

La CIA et la Guerre Froide Culturelle I


Frances Stonor Saunders


Qui mène la danse ? La CIA et la Guerre froide culturelle (épuisé)


Les individus et institutions subventionnés par la CIA devaient prendre part à une vaste campagne de persuasion, une guerre de propagande dans laquelle ‘propagande’ était défini comme ‘n’importe quel effort ou mouvement organisé pour disséminer de l’information ou une doctrine particulière au moyen d’informations, d’attractions ou arguments spéciaux destinés à influencer les pensées et actions de n’importe quel groupe donné.’ Un élément vital de cet effort était la ‘guerre psychologique’, qui était définie comme ‘l’utilisation planifiée par une nation de la propagande et d’activités autres que le combat et qui communiquent des idées et de l’information destinées à influencer les opinions, les attitudes, les émotions et le comportement de groupes étrangers en sorte que cela aidera à l’accomplissement des objectifs nationaux.’ De plus, le ‘type de propagande le plus efficace’ était défini comme celui grâce auquel ‘le sujet de dirige dans la direction que vous souhaitez pour des raisons qu’il croit être siennes’. p.4

En tant que compositeur, [Nicolas] Nabokov fut assigné à la section musique [de la Division du Contrôle de l’Information, branche de l’US Strategic Bombing Survey en Allemagne en 1945], où on attendait de lui qu’il ‘établisse des armes psychologiques et culturelles efficaces pour détruire le nazisme et promouvoir le désir sincère d’une Allemagne démocratique. Sa tâche fut ‘d’éjecter les nazis de la vie musicale allemande et d’autoriser les musiciens allemands (leur donner le droit d’exercer leur profession) qui croyaient être des Allemands « propres »,’ et de ‘contrôler les programmes des concerts allemands et de faire en sorte qu’ils ne deviennent pas des représentations nationalistes.’ p.13

En plus de Furtwängler, Herbert von Karajan et Elisabeth Schwarzkopf furent tous deux bientôt exonérés par des commissions alliées, en dépit de leur passé douteux. Dans le cas de von Karajan, cela n’était pour ainsi dire pas nié. Il était membre du parti depuis 1933, et n’hésitait jamais à débuter ses concerts avec ce morceau favori des nazi qu’était ‘Horst Wessel Lied’. Ses ennemis l’appelaient ‘SS Colonel von Karajan’. Mais en dépit de son approbation du régime nazi, il fut rapidement remis en place comme chef incontesté du Philharmonique de Berlin, l’orchestre qui dans les années suivant la fin de la guerre fut présenté comme le rempart symbolique du totalitarisme soviétique. p.15

William Donovan, chef du Service de Renseignements US en temps de guerre, prononça un jour une phrase restée célèbre : ‘J’embaucherai Staline si je pensais que cela nous aiderait à vaincre Hitler.’ Dans un retournement de veste trop facile, il était désormais évident que les Allemands ‘devaient devenir nos nouveaux amis, et les Russes-sauveurs l’ennemi’. Pour Arthur Miller, ceci était ‘une chose ignoble. Il m’a semblé dans les années qui suivirent que ce changement radical, ôter les étiquettes Bien et Mal à une nation pour les coller à une autre, contribua à éroder la notion même d’un monde ne serait-ce que théoriquement moral. Si l’ami du mois passé pouvait si rapidement devenir l’ennemi de ce mois-ci, quelle profondeur de réalité le bien et le mal pouvaient-ils avoir ? Le nihilisme – encore pire, l’amusement fatigué – envers le concept même d’un impératif moral, qui allait devenir le signe de la culture internationale, naquit au cours de ses huit à dix années de réalignement suite à la mort d’Hitler.’ p.16

La promotion d’artistes noirs allait devenir une priorité urgente pour les soldats Américains de la Guerre Froide. p.20

En accord avec les universitaires, auteurs et directeurs de pièces américains, un vaste programme théâtral fut lancé. Des pièces de Lillian Hellman, Eugene O’Neill, Thornton Wilder, Tennessee Williams, William Saroyan, Clifford Odets et John Steinbeck furent présentées à un public enthousiaste, amassé dans des théâtres glacés où des stalactites menaçantes pendaient des plafonds. Suivant le principe de Schiller d’un théâtre comme ‘moralische Anstalt’ [institution morale], selon lequel les hommes peuvent assister à la représentation des principes de base de la vie, les autorités américaines établirent une liste des leçons morales souhaitables. Ainsi, sous la rubrique ‘Liberté et Démocratie’ vinrent Peer Gynt d’Ibsen, Le Disciple du Diable de Shaw, et Abe Lincoln dans l’Illinois de Robert Sherwood. ‘Le Pouvoir de la Foi’ se trouvait exprimé dans les drames de Faust, Goethe, Strindberg, Shaw. ‘L’Égalité de l’Homme’ était le message à tirer de Lower Depths de Maxim Gorki et du Médée de Franz Grillparzer. Sous la rubrique ‘Guerre et Paix’ on trouvait Lysistrate d’Aristophane, La Fin du Voyage de R. C. Sherriff, Skin of our Teeth de Thornton Wilder, et A Bell for Adano de John Hersey. ‘Corruption et Justice’ était le thème d’Hamlet, de Revisor de Gogol, du Mariage de Figaro de Beaumarchais, et de l’œuvre d’Ibsen en général. Cela continuait avec ‘Le Crime Ne Paie Pas’, ‘La Morale, les Goûts et les Manières’, ‘La Poursuite du Bonheur’, jusqu’à ‘L’Exposition au Nazisme’. Furent jugées inappropriées ‘pour l’état mental et psychologique présent des Allemands, toutes les pièces acceptant la maîtrise aveugle du destin qui mène à une inévitable destruction et autodestruction, comme les classiques grecs.’ Furent également placés sur la liste noire Jules César et Coriolan [de Shakespeare] (‘glorification de dictateurs’) ; Prinz von Homburg et Kleist (‘chauvinisme’) ; Living Corpse de Tolstoï (‘une critique juste de la société mène à des fins antisociales’) ; toutes les pièces de Hamsun (‘de l’idéologie nazie pure et simple’), et toutes les pièces par qui que ce soit d’autre qui ‘[ont servi] le nazisme’.

Ayant en tête l’injonction de Disraeli selon laquelle ‘un livre peut être aussi terrible qu’une bataille’, un vaste programme de livres fut lancé, destiné en priorité à ‘projeter la version Américaine [de l’histoire] au lecteur allemand de la manière la plus efficace possible’. Avec l’aide de maisons d’éditions commerciales, le gouvernement d’occupation assura l’approvisionnement permanent de ‘livres génériques’ jugés ‘plus acceptables que les publications du gouvernement, parce qu’ils n’ont pas le relent de la propagande’. p.21-22

‘Il y a deux célèbres « derniers mots »,’ Bohlen aimait à dire. ‘Le premier est « l’alcool ne me fait aucun effet » ; et l’autre est « Je comprends les Russes. »’ p.36

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