Saturday, 30 January 2016

La CIA et la Guerre Froide Culturelle III

S’en suivit une volée de télégrammes entre le Département d’État et les missions USIA [Agence d’Information des États-Unis] (Berlin, Brême, Düsseldorf, Francfort, Hambourg, Munich, Hanovre, Stuttgart,  Fribourg, Nuremberg, Paris) alors que l’interdiction des livres s’accélérait : ‘Enlevez tous les ouvrages de Sartre des collections de toutes les Amerika Hauser.’ ‘Tous les ouvrages des auteurs suivants doivent être enlevés : Dashiell Hammett, Helen Kay, Gene Weltfish, Langston Hughes, Edwin Seaver, Bernhard Stern, Howard Fast. […] John Abt, J. Julius, Marcus Singer, Nathan Witt. […] W. E. B. Dubois, William Foster, Maksim [sic] Gorki, Trofim Lysenko, John Reed, Agnes Smedley.’ Herman Melville fut harponné, et tous les livres illustrés par Rockwell Kent furent retirés. […]
Le nombre moyen d’ouvrages envoyés vers l’étranger par l’USIA en 1953 plongea de 119.913 à 314. Nombre de livres retirés des bibliothèques avaient été brûlés par les nazis. Condamnés au pilori pour la seconde fois furent La Montagne Magique de Thomas Mann, les Œuvres choisies de Tom Paine, la Théorie de la Relativité d’Albert Einstein, les écrits de Sigmund Freud, Pourquoi Je Suis Devenue Socialiste d’Helen Keller, et Dix Jours qui Ébranlèrent le Monde de John Reed. L’essai de Thoreau De la Désobéissance Civile fut banni par les USA en même temps qu’il fut interdit par la Chine maoïste.  p.193-194

‘…encore aujourd’hui, on accorde aux communistes et sympathisants communistes une certaine respectabilité dans les cercles intellectuels et culturels que l’on n’aurait jamais accordé à un nazi ou un néo-fasciste.’ p.227

…l’absolutisme en politique, qu’il prenne la forme du maccarthysme, d’un anti-communisme libéral, ou du stalinisme, n’était pas une question de gauche ou de droite, il cherchait à ne pas laisser l’Histoire dire la vérité. ‘C’est tellement corrompu, il ne s’en rend même pas compte,’ dit Jason Epstein. ‘Quand ces gens parlent d’une « contre-intelligentsia », ce qu’ils font c’est qu’ils créent un système de valeurs faux et corrompu destiné à soutenir l’idéologie dans laquelle ils sont engagés sur le moment. La seule véritable chose à laquelle ils sont voués c’est le pouvoir, et l’introduction de stratégies tsaristes-stalinistes dans la politique américaine. Ils sont tellement corrompus qu’ils ne s’en rendent probablement pas compte. Ce sont de mesquins apparatchiks menteurs. Des gens qui ne croient en rien, qui sont contre quelque chose, ne devraient pas partir en croisade ou commencer des révolutions.’ p.229

[Président des USA Harry Truman en 1948 après une visite à la National Gallery:] ‘C’est un plaisir d’observer la perfection et ensuite de penser  aux modernes fainéants et insensés. C’est comme comparer Christ et Lénine.’ p.252

Au Congrès [des USA], une campagne fut lancée par un Républicain du Missouri, George Dondero, qui déclara que le modernisme faisait tout simplement partie d’un complot mondial destiné à affaiblir la résolution américaine. ‘Tout art moderne est communiste,’ annonça-t-il… ‘Le cubisme vise à détruire par un désordre arrangé. Le futurisme vise à détruire via le mythe de la machine…Le dadaïsme vise à détruire par le ridicule. L'expressionnisme vise à détruire en copiant le primitif et l’insensé. L’abstractionnisme vise à détruire par la création de brainstorms… Le surréalisme vise à détruire par la négation de la raison.’ p.253

[Tom Braden, CIA, à propos de la Guerre Froide culturelle] ‘…C’est une des raisons pour lesquelles cela devait être fait officieusement ; ça devait être officieux parce que cela aurait été refusé s’il avait fallu organiser un vote démocratique. Afin d’encourager l’ouverture, nous devions opérer en secret.’ Là encore on retrouve ce sublime paradoxe de la stratégie américaine pendant la Guerre Froide culturelle : afin de promouvoir l’acceptation de l’art produit en (et vanté comme l’expression de la) démocratie, le procédé démocratique lui-même devait être contourné. p.257

[Eva Cockroft dans un article de 1974 ‘Expressionnisme Abstrait : Arme de la Guerre Froide’] : ‘Les liens entre la politique de la Guerre Froide culturelle et le succès de l’expressionnisme abstrait ne sont pas une simple coïncidence…En termes de propagande culturelle, les fonctions à la fois de l’appareil culturel de la CIA et les programmes internationaux du MoMA [Musée d’Art Moderne] étaient proches et, en fait, se supportaient mutuellement.’ p.263

En 1948, Lincoln Kirstein, ex-activiste du MoMA, se plaignait dans Harper’s que le musée ‘a fait son boulot presque trop bien’ en se transformant en ‘une académie abstraite moderne’ dont il définissait les principes comme ‘l’improvisation comme méthode, la déformation comme formule, et la peinture…comme un amusement manipulé par des décorateurs d’intérieur et des vendeurs sous pression’. p.265

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