Monday, 7 March 2016

De la prédictibilité des guerres et de tout le reste

Cesare Marchetti est un statisticien italien dont le magnum opus est son travail sur la courbe en S, par lequel il a montré que tous les phénomènes sociaux tels que les guerres suivent un schéma absolument identique à travers les âges.

CM 1

Voilà une courbe en S typique. Elle se résume ainsi: tout phénomène se déroule en gros en trois phases de longueur égale, les phrases initiales et finales (premier et dernier tiers) au cours desquelles le phénomène décolle et atterrit doucement, et une phase intermédiaire qui connaît une croissance rapide et soutenue. On peut le voir comme une fonction cumulée de la courbe en cloche classique de la loi Normale ou loi de Gauss.

Prenons l'exemple su secteur énergétique. A partir des seules données ci-dessous, Cesare Marchetti a pu extrapoler les tendances suivantes:

CM 2

 

[caption id="attachment_617" align="aligncenter" width="401"]CM 3                  Voilà les tendances estimées par CM...[/caption]

 

[caption id="attachment_618" align="aligncenter" width="400"]CM 4                 ...et voilà comment elles collent à la réalité[/caption]

En considérant le graphique (a), on aurait pu prédire la part du marché énergétique prise par le pétrole, 50 ans après la période couverte par la base de données, c.-à-d. en 1970, avec une précision de quelques %. L’analyse de diffusion faite au niveau de l’objet, par exemple, le marché de l’énergie, peut gérer un nouvel entrant (ici le gaz naturel) seulement après qu’il a fait son trou d’une manière ou d’une autre (la faiblesse des prédictions quant au gaz est due à cela). Elle ne peut en revanche pas prédire l’arrivée d’un nouveau compétiteur. Une approche plus sophistiquée, opérant à des niveaux hiérarchiques [fractaux] supérieurs, permet ceci. Une nouvelle source d’énergie aurait pu être prédite en 1970 (le nucléaire) et une autre vers 2025 (fusion?). Avec un peu de patience on pourra vérifier en 2025. [Looking Forward - Looking Backward]

...Un phénomène rapide qui peut intéresser les observateurs politiques et les spin doctors est de savoir pendant combien de temps le public peut focaliser son attention sur un thème important et/ou choquant, par exemple l’accident nucléaire de Tchernobyl. La réponse est : à peu près deux semaines. J’ai fait cette analyse en comptant chaque jour les articles paraissant dans les journaux et magazines d’Europe et des USA. (LF - LB)

Autres exemples:

[Les courbes en S en tant que telles sont pénibles à dessiner et à vérifier. Alors j’utilise une astuce mathématique (la transformation de Fisher-Pry) pour les linéariser. (LF - LB)]

[caption id="attachment_619" align="aligncenter" width="500"]CM 5              Fabrication des navires de guerre britanniques 1500-2000[/caption]

En me servant des dates et valeurs ainsi obtenues, j’ai construit une équation super-logistique, centrée en 1720 et finissant vers 1950. Cette fin en 1950 aurait pu être prédite avec une précision assez forte un siècle à l’avance. (LF - LB)

[caption id="attachment_620" align="aligncenter" width="500"]CM 6        Moyen Orient: valeur cumulée des principales importations d'armement[/caption]

20 ans d’importations d’armes au Moyen Orient, mesurées en $ constants (1975), lissé avec une moyenne mobile sur 5 ans pour éliminer les inévitables pics lorsque de grandes commandes sont passées, montre une cohérence remarquable. La valeur cumulée progresse selon une équation logistique d’un très faible taux d’acquisition en 1960, à un maximum vers 1980 pour baisser jusqu’à nos jours [1996]. Le fait que cette baisse soit en ligne avec le cycle de Kondratiev laisse penser qu’un possible redémarrage aura lieu au début du siècle prochain. (LF - LB)

[caption id="attachment_621" align="aligncenter" width="500"]CM 7               Nombre de sous-marins nucléaires d'attaque des USA[/caption]

Les services de renseignement qui essaient de voler des bouts d’information les uns les autres afin de deviner ce qui va se passer dans les six mois à venir auraient plus intérêt à extraire ce genre d’information des statistiques passées. [...]
Incidemment, 1969 était l’année du maximum de croissance pour l’économie US (et celle du monde). (LF - LB)

CM a pu faire des prédictions sur les attaques terroristes qui ont frappé l'Italie dans les années 1970:

…les organisations criminelles opèrent selon des modèles fixés. Ce qui veut dire qu’ils peuvent être prédits, au grand embarras des carabinieri pour lesquels j’ai réalisé ces analyses. (LF - LB)

Dans le cas des Brigades Rouges, je collaborais avec les carabinieri prédisant avec une bonne précision et quelques années à l’avance le nombre de gens tués [au cours d’attaques terroristes]. Ils n’aimaient pas cela. (Is History Automatic and Are Wars à la Carte?)

[caption id="attachment_622" align="aligncenter" width="500"]CM 8                                       Vagues d'innovation 1750-2000[/caption]

Ce qui est montré ici est le nombre cumulé d’innovations qui se divisent en 3 vagues logistiques séparées, centrées en 1829, 1880, et 1937. La cohérence interne du phénomène permet de calculer une quatrième vague, dans laquelle nous nous trouvons, centrée en 1992. (Is Human Society Cyclothymic?)

[caption id="attachment_623" align="aligncenter" width="500"]CM 9 Forces Armées Britanniques 1ème GM (droite du dessus)                               Pertes Britanniques 1ème GM (droite du dessous - lire Mai 1917, pas 1977)[/caption]

Il est fascinant de constater à quel point un modèle extrêmement simple correspond si bien à l’évolution dans son intégralité des forces et des morts d’une armée donnée alors que les guerres semblent être si contingentes et dépendantes d’interactions entre deux systèmes décisionnels opposés.

…le niveau constamment plus bas des morts du côté allemand, en gros la moitié des pertes britanniques.

…le niveau de 90% de pertes cumulées est atteint tant pour les Allemands que pour les Britanniques en mai 1917 + 37 mois ½, soit en novembre 1918. (A Simple Mathematical Model of War Events)

[Du point de vue du PNB] J’observe simplement que les guerres ne font au final aucune différence, toutes les pertes sont comblées ultérieurement [pour retomber sur l’équation logistique de départ]. (Is Human Society Cyclothymic)

[caption id="attachment_624" align="aligncenter" width="500"]CM 10                       Principaux Conflits Mondiaux Cumulés 1740-1974[/caption]

…la conflictualité semble faiblir. Cependant, la taille des conflits tend à augmenter pour compenser la baisse de leur nombre.

...Parce que le point de saturation de l’équation d’ajustement peut être calculé relativement tôt, on pourrait avoir ici un outil pour estimer quand n’importe quel conflit donné prendra fin.

…la guerre du Vietnam était en fait l’enchaînement de deux guerres de durée similaire (43 mois et 35 mois respectivement), à 3 ans d’intervalle, mais avec des totaux de morts cumulées très différents (500 vs 36.500). En dépit de ces nombres de morts sans commune mesure, chaque guerre a pris fin quand +/- le niveau de saturation de 90% [de morts cumulées] a été atteint. On met là encore l’accent sur cette coïncidence pour suggérer qu’il est possible d’estimer quand une guerre prendra fin.

Le nombre cumulé de conflits dans le monde ces deux derniers siècles s’aligne bien selon le schéma d’une équation logistique unique. Le point central, quand l’agressivité internationale était à son comble, se situe aux alentours de 1900. Nous approchons de la saturation, ce qui est plutôt bon signe. Cependant les données se réfèrent à des conflits d’une certaine taille. Les conflits les plus importants ont continué à croître en taille, compensant ainsi leur nombre décroissant. (A Simple Mathematical Model of War Events)

CONCLUSION : Du "libre"-arbitre

Nombre de choses que les gens pensent être sous leur contrôle sont en fait sous le contrôle de mécanismes subtils, la fameuse main invisible, et hélas, leur course est très difficile à dévier. Cela dérange l´ego. (LF - LB)

Le fait que la croissance d’un empire entier suive une unique équation logistique pendant des centaines d’années suggère que le processus dans son intégralité est sous le contrôle de mécanismes automatiques, bien plus que des caprices d'un Napoléon ou d’un Gengis Khan. 

Mon interprétation cynique est que on se lance dans un conflit quand il y a quelqu’un alentour qui est suffisamment faible – comme dans les bars. 

Je n’ai pas l’intention d’assassiner la vache sacrée du libre arbitre mais on dirait qu’elle est soumise à plus de contraintes qu’elle n’offre de libertés.

Coller aux faits à l’aide d’équations simples signifie que les faits obéissent à un ordre temporel précis, selon des processus que les correspondants de guerre et les historiens considèrent extrêmement complexes et naturellement stochastiques. (Is History Automatic...)

On pourrait penser que les inventions et innovations, sources du progrès, descendent stochastiquement du ciel, et peut-être surgissent ici ou là sans ordre aucun. Dans l’étude que j’ai réalisée en 1979, j’ai montré qu'en fait le processus est rigoureusement ordonné, peut être modélisé et prédit, prouvant qu’il est possible que le le système contrôle les libres arbitres des inventeurs et entrepreneurs, les manœuvrant comme il l’entend. (Is Human Society Cyclothymic)

Il est fascinant de constater à quel point un modèle extrêmement simple correspond si bien à l’évolution dans son intégralité des forces et des morts d’une armée donnée alors que les guerres semblent être si contingentes et dépendantes d’interactions entre deux systèmes décisionnels opposés. (A Simple Mathematical Model of War Events)

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