Dans un retournement de situation inhabituel pour une organisation qui représente le roc fondateur du système « néolibéral » – autrement dit capitaliste – les auteurs Jonathan D. Ostry, Prakash Loungani, et Davide Furceri du FMI viennent tout juste de publier un rapport intitulé « Néolibéralisme : Surfait ? » dont le thème est étonnant : il accuse le néolibéralisme, et sa conséquence directe la mondialisation et « l’ouverture financière, » de causer non seulement des inégalités, mais également de de rendre les marchés boursiers instables.
À savoir :
Il y a des aspects du programme néolibéral qui n’ont pas tenu leurs promesses. Notre évaluation de ce programme s’est cantonnée aux effets de deux politiques en particulier : la suppression des restrictions sur les mouvements de capitaux au-delà des frontières d’un pays (aussi appelée « libéralisation de la balance des capitaux ») ; et la consolidation fiscale, parfois nommée « austérité, » qui est une abréviation pour des politiques destinées à réduire les déficits budgétaires et le niveau de la dette publique. Une évaluation de ces politiques-là (plutôt que le programme néolibéral dans son ensemble) permet d’arriver à trois conclusions inquiétantes :
- Les bénéfices en termes d’augmentation de la croissance semblent difficiles à déterminer quand on s’intéresse à un large panel de pays.
- Les coûts en termes d’augmentation des inégalités sont majeurs. De tels coûts illustrent la contrepartie entre la croissance et les effets sur l’équité de certains aspects du programme néolibéral.
- L’augmentation des inégalités à son tour endommage le niveau et la durabilité de la croissance. Même si la croissance est le seul ou principal objectif du programme néolibéral, les défenseurs de ce programme doivent quand-même prêter attention aux effets sur la distribution [des revenus].
Attendez…vous voulez dire que le FMI est en train de devenir, oups, marxiste ? L’interaction spectaculaire de l’été dernier avec la Grèce et son bref mais mémorable ex-ministre marxiste des finances, Yanis Varoufakis, a fait une telle impression sur l’inconscient collectif du FMI que ce dernier rejette désormais ouvertement les fondements sur lesquels le FMI a été originellement créé ?
Continuons à lire pour découvrir la réponse.
Voilà une section d’importance quant à la « mondialisation » / « ouverture financière » :
En plus d’accroître le risque d’un krach, l’ouverture financière a des effets sur la distribution [des revenus], augmentant les inégalités de manière significative. Qui plus est, les effets de cette ouverture sur les inégalités sont bien plus prononcés quand un krach se produit effectivement.
Encore mieux :
Les indices d’un ratio coûts-bénéfices élevé comme conséquence de l’ouverture en termes de la balance des capitaux s’accumulant, en particulier dans le cas des flux à court terme, cela a mené l’ex-directeur adjoint du FMI, Stanley Fischer, désormais vice-président du conseil de direction de la Réserve Fédérale US, à déclarer il y a peu : « Quelle est l’utilité finale des flux de capitaux internationaux à court terme ? » Parmi les décideurs politiques aujourd’hui, l’idée est de plus en plus partagée de mise en place de contrôles afin de limiter les flux de dette à court termes, ces derniers étant perçus comme susceptibles de mener à – ou de faire empirer – une crise financière. Même si ce ne sont pas le seul outil à disposition – les taux de change et les politiques financières peuvent également aider – les contrôles des capitaux sont une option viable, parfois même la seule option, quand la source d’un boom intenable des crédits est les emprunts directs de l’étranger.
Le FMI passe alors en mode « arbre magique à billets » et revient à une position tenue pour la première fois il y a quelques années de ça quand il disait que non seulement l’austérité était mauvaise, mais que l’émission sans fin de dette est probablement une bonne chose.
Les marchés attachent généralement de très faibles probabilités à une crise de la dette souveraine de pays qui ont été historiquement fiscalement responsables. Un tel bilan leur offre une marge de manœuvre pour décider de ne pas augmenter les impôts ou réduire les dépenses productives quand le niveau de la dette est élevé. Et pour les pays historiquement responsables, le bénéfice de la réduction de la dette, en termes d’assurance contre une future crise budgétaire, se trouve être extrêmement faible, même à des niveaux très élevés de dette rapportée au PNB. Par exemple, aller d’un ratio dette/PNB de 120% à 100% en quelques années ne réduit que de très peu le risque d’une crise.
Mais même si le bénéfice d’une telle assurance est faible, cela peut toujours valoir le coup si le prix à payer est suffisamment bas. Mais il se trouve que le coût peut être élevé – bien plus élevé que le bénéfice. La raison en est que, afin d’atteindre un niveau de dette plus faible, les impôts, qui dénaturent le comportement économique, doivent être augmentés temporairement, ou alors les dépenses productives doivent être réduites – voire les deux. Les coûts d’une augmentation des impôts ou d’une réduction des dépenses requis afin d’abaisser la dette peuvent être bien plus élevés que le bénéfice d’une réduction du risque de crise engendrée par une dette plus faible. Cela ne veut pas dire qu’une dette élevée n’est pas mauvaise pour la croissance ou les prestations sociales. Elle l’est. Mais le point clé est que le coût dû à la dette plus élevée (la charge de la dette) a déjà été payé et ne peut être récupéré ; c’est un coût irrécupérable. Face au choix entre vivre avec une dette plus élevée – en permettant au ratio de la dette de décroître organiquement grâce à la croissance – ou utiliser délibérément les surplus budgétaires pour réduire la dette, les gouvernements disposant d’une forte marge de manœuvre fiscale ferait mieux de vivre avec la dette.
Bien évidemment, ce qu’à la fois le FMI et les lunatiques de l’arbre magique à billets n’arrivent pas à comprendre, c’est que la seule raison pour laquelle les intérêts de la dette n’ont pas explosé dans un monde qui n’a jamais autant croulé sous la dette (une tendance qui se termine inévitablement par la guerre) est la monétisation de ladite dette par les banques centrales, et les investisseurs tierces-parties qui pratiquent le front running de ces dernières. Revenons aux « faibles coûts de la dette » si et quand l’inflation rampante forcera les banques centrales à inverser ce qui a été un processus étendu sur plus de 30 ans qui a commencé avec une grande modération et qui se terminera soit avec de l’argent jeté par hélicoptère (et donc l’hyperinflation) soit les banques centrales détenant absolument tous les actifs (et donc la mort du capitalisme).
Mais revenons au coup de gueule du FMI, au cas où le retournement de veste du Fonds quant à son soutien du programme néolibéral n’était pas clair pour certains, avec une autre citation :
En résumé, les bénéfices de certaines politiques qui forment une part importante du programme néolibéral semblent avoir été exagérés. Dans le cas de l’ouverture financière, certains flux de capitaux, tels que les investissements directs étrangers, semblent bien conférer les bénéfices prétendus. Mais pour d’autres, en particulier les flux de capitaux à court terme, les bénéfices de la croissance sont difficiles à engranger, alors que les risques, en terme de volatilité plus élevée et de potentiel de crise, sont bel et bien là. Dans le cas de la consolidation fiscale, les coûts à court terme en termes de plus faibles rendements et de prestations sociales et d’augmentation du chômage ont été sous-estimés, et l’attrait pour les pays disposant d’une forte marge de manœuvre fiscale de tout simplement vivre avec une dette élevée et de permettre le ratio dette/PNB de décroître organiquement via la croissance ne sont pas suffisamment appréciés.
Conclusion du FMI :
Vu qu’à la fois l’ouverture et l’austérité sont associées à une augmentation des inégalités de revenus, cet effet de distribution met en place un cercle vicieux. L’augmentation des inégalités engendrée par l’ouverture financière et l’austérité pourrait saper la croissance, la chose même que le programme néolibéral est désireux de booster. Il existe désormais des indices que les inégalités peuvent réduire à la fois le niveau et la durabilité de la croissance de manière significative.
Et là le FMI fait l’impensable, il fait coucou de la main à Marx :
Les preuves des dégâts économiques causés par les inégalités suggèrent que les décideurs politiques devraient être plus ouverts à la redistribution qu’ils ne le sont.
Pour rappel, ce rapport est publié juste après que la Fed de St. Louis a admis que la Réserve Fédérale elle-même, indirectement est un facteur majeur dans le record actuel concernant les inégalités de richesse grâce à sa focalisation sur « l’effet richesse » et l’augmentation des prix des actifs.
***
Quelle conclusion tirer ? Peut-être que la tendance vers une redistribution de la richesse globale, et par là-même la mise à mort du capitalisme conventionnel, est dans les cartons.
Comment cette transition se déroulera est un mystère : que ce soit par décret du gouvernement, par un changement de régime politique, par un gouvernement – paradoxalement – mondial (au sein duquel le FMI serait absolument ravi de gérer la politique monétaire mondiale) afin de contenir la mondialisation, ou plus simplement, par de l’argent jeté d’un hélicoptère, n’est pas encore clair.
Quelle que soit la réponse, quelque chose est en train de se passer, parce que pour qu’un tel rapport soit publié, il a très certainement été approuvé par les échelons supérieurs du FMI, mais a été très certainement pré-approuvé par toutes les institutions financières.
Et cela devrait en inquiéter plus d’un.
http://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2016/06/pdf/ostry.pdf
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