Le mythe de l'avance soviétique dans la conquête spatiale. (1971)
Je fus étonné de lire un commentaire dans le London Times à propos du vol de trois vaisseaux soviétiques en octobre 1969 – une fois encore, les Américains avaient déjà aluni. Comme on le sait, rien de nouveau ne s’était produit au cours de ce vol que ce soit d’un point de vue technique ou d’un point de vue scientifique. Mais le Times écrivit, alarmé, que le vol des sept cosmonautes dans trois vaisseaux signifiait sans doute aucun une révolution dans le domaine de la recherche spatiale – quelque chose grâce auquel les Russes étaient sur le point de dépasser les accomplissements américains.
Et en 1971, même après la 3ème mission lunaire réussie des Américains, la notion que les Russes étaient ‘en avance’ continuait à prévaloir. p.12
Pourquoi Baïkonour ?
La pathétique anecdote du baptême du centre spatial soviétique révélera en soi beaucoup au lecteur attentif. Tant que l’Union Soviétique se contentait de lancer des Spoutniks – jusqu’en avril 1961 – aucune référence ne fut faite nulle part au lieu à partir duquel ils étaient lancés, qui était considéré comme top secret. Mais en avril 1961 le premier homme – Yuri Gagarin – fut envoyé dans l’espace et les dirigeants soviétiques furent soudain mis devant un épineux problème. Le fait est qu’ils voulaient faire enregistrer le vol de Gagarin comme un record mondial en termes d’altitude et de distance. Les autorités soviétiques soumirent fièrement dans leur demande une déclaration signée de Gagarin et de plusieurs ‘commissaires au sport’ soviétiques. Mais selon les règles internationales, pour que le record soit homologué, les lieux de départ du vol et celui d’arrivée devaient être fournis. Après une brève période de panique, les autorités prirent la décision ‘rusée’ de nommer Baïkonour, et pas Turyatan [village le plus proche] comme ce lieu, déplaçant ainsi le centre spatial d’environ 320 km de là où il était réellement.
…
Sur toutes les cartes géographiques de l’URSS, pas une seule ville soviétique n’est montrée à son emplacement exact donné par les coordonnées de latitude et longitude. Chacune d’entre elles est déplacée d’un côté ou de l’autre, plus ou moins, mais elles sont toutes décalées. …la publication des coordonnées géographiques de n’importe quelle ville de l’URSS est interdite. p.48-49
Je m’y connais peu quant aux réussites relatives des deux groupes dans le domaine de la mise au point de missiles. Tout ce que je sais c’est que dans leur tentative d’augmenter la puissance et la portée des missiles, les scientifiques se trouvèrent confrontés à un problème insoluble : comment construire des tuyères de grand diamètre capables de supporter les températures extrêmement élevées des gaz d’échappement. Le problème, à son tour, se divisait en deux parties : découvrir les alliages thermorésistants nécessaires, et assurer le refroidissement uniforme des parois de la tuyère en vol. Ou, de manière plus simple : les matériaux disponibles pour fabriquer les parois des réacteurs et les méthodes connues pour les refroidir ne permettaient pas aux ingénieurs soviétiques de construire des moteurs de grand diamètre, parce que les matériaux ne pourraient pas supporter la chaleur de 3.000 degrés générée par ces gros réacteurs et les systèmes de refroidissement n’étaient pas adéquats pour abaisser la température à des niveaux acceptables. p.50
Même aujourd’hui, 13 ans après le lancement du 1er Spoutnik [1957], l’Union Soviétique fait toujours face à des difficultés concernant la construction de gros propulseurs et continue à utiliser le système à multiples propulseurs d’appoint plus petits, système lourd, maladroit et peu fiable.
On sait maintenant en Occident que non seulement le 1er Spoutnik mais également le 1er homme (ainsi que tous ceux qui ont suivi jusqu’à aujourd’hui) furent lancés dans l’espace grâce au système de propulseurs multiples. On sait également que les Américains construisent depuis longtemps des propulseurs géants comme ceux de Saturn V*. [* Selon des informations disponibles à la fin 1969, les réacteurs de fusées soviétiques développaient une poussée d’environ 50 tonnes par chambre de pression, alors que les réacteurs américains en développaient une de 680 tonnes.] Les experts américains savent que quand, au printemps 1961, la machine de propagande soviétique se faisait plaisir en suivant le vol de Gagarin et que les journalistes américains se plaignaient de l’étendue du retard américain par rapport à l’Union Soviétique – d’aucuns disaient cinq, d’autres dix ans – le principal réacteur de la fusée américaine Atlas n’était qu’un fantasme inatteignable pour les concepteurs soviétiques. Les experts américains le réalisent maintenant. Mais ils ne le savaient pas à l’époque. Mais ni à l’époque ni maintenant une quelconque analyse raisonnée n’est apparue en Occident, et la presse continue à proclamer à quel point l’Union Soviétique est ‘en avance’ – même après que les Américains ont aluni. p.51-52
Mon ami scientifique m’expliqua que trois facteurs travaillaient en faveur de l’Union Soviétique : le secret, l’aventurisme (rendu possible par le degré de secret maintenu), et le souhait des ingénieurs aéronautiques américains d’obtenir plus de fonds. Le lancement d’un Spoutnik – d’après ce scientifique – fut accompli par l’Union Soviétique bien plus tôt qu’attendu (on examinera ci-après comment cela est arrivé). Les chercheurs américains en aérospatial étaient ravis quand c’est arrivé parce qu’ils s’étaient préparés depuis longtemps à un tel lancement eux-mêmes – contrairement aux chercheurs soviétiques. Ils purent se servir de l’excuse que les Russes étaient ‘en avance’ dans la course spatiale pour soutirer plus d’argent pour leurs travaux et continuer avec des programmes soigneusement étudiés sans faire attention à ce qui se faisait en Union Soviétique. p.52
Au début de 1957, Koryolov [chef du programme spatial soviétique] tomba de plus en plus souvent sur des indications dans la presse américaine selon lesquelles, lors de l’Année de la Géophysique International, les USA souhaitaient lancer un satellite artificiel. Le problème du lancement d’un tel satellite était discuté librement dans les revues américaines, qui entraient dans les détails du projet, y compris son coût. Il y avait même des indices quant au nom donné à ce satellite – Vanguard – et des récriminations quant au fait que le Président et le Congrès étaient peu disposés envers l’idée de dépenser des millions de $ sur ce satellite.
…avant la publication dans la presse américaines d’articles sur des satellites artificiels, ni Koryolov ni qui que ce soit d’autre en Union Soviétique n’avait même pensé à faire de la recherche spatiale par ce moyen dans le futur proche. p.54-56
En réponse à la question de savoir comment il en vint à l’idée de lancer le premier Spoutnik, Koryolov, franc et aimable, expliqua : « Nous suivions de près les rapports sur les préparatifs ayant cours aux USA pour lancer un spoutnik nommé, à juste titre, Vanguard [avant-garde]. Certains à l’époque estimaient qu’il serait le premier satellite à atteindre l’espace. Nous déterminâmes ce que nous étions capables de faire, et nous en vînmes à la conclusion que nous pouvions lancer au moins 100 kg en orbite. Nous soumîmes l’idée au Comité Central du Parti, où la réaction fut : « C’est une idée tentante. Mais nous allons devoir y réfléchir… » À l’été 1957 je fus convoqué dans les bureaux du Comité Central. Ils donnèrent leur accord. C’est comme cela que le 1er Spoutnik est né. Il fut lancé en orbite sans qu’un permis soit émis. »
Les mots les plus importants ici sont ‘à l’été 1957’. Nous ne devons pas oublier que le Spoutnik fut en effet lancé le 4 octobre de cette même année.
Même si nous supposions que le mot ‘été’ signifie ici juin (mais nous verrons plus tard qu’il y a des raisons de croire qu’il s’agissait en réalité d’août), alors il semblerait que quatre mois avant le lancement du 1er Spoutnik, aucun préparatifs n’avaient été faits pour un tel lancement en Union Soviétique, vu que de tels préparatifs n’auraient tout simplement pas pu démarrer dans aucun des bureaux d’études soigneusement protégés, avec leur discipline rigide, sans des instructions spécifiques émanant du Parti. p.56-57
…Koryolov prenait un risque considérable. La fusée qu’il allait utiliser pour lancer le Spoutnik n’avait subi ses premiers essais qu’en août. p.58
Koryolov était mieux au courant que quiconque du retard de la technologie soviétique. Après tout, les fusées étaient les produits industriels les plus importants de la nation, pourtant il n’avait pas été possible d’obtenir pour elles les alliages thermorésistants ou les plastiques modernes, ou les systèmes électroniques miniaturisés ou une centaine d’autres composants nécessaires. p.61
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