La Monogamie comme Condition de l’Energie Sociale
The
Hibbert Journal 25, Juillet 1927
J. D. Unwin
Les données
historiques montrent une série de sociétés différentes, dans des lieux
différents, chacune s’établissant comme une civilisation alors qu’elle devient absolument
monogame[1],
atteignant une culture élevée tant que cet état de monogamie absolue est
préservé, et déclinant avec la modification ou l’abandon dudit état. De la même
manière que les sociétés ont progressé de la sauvagerie à la civilisation, puis
se sont effacées dans un état général de décrépitude, ainsi dans chacune le
mariage a évolué d’un accord temporaire basé sur le consentement mutuel à une
association à vie entre un homme et une femme, avant de retomber à une union
lâche voire à la polygamie. L’histoire
humaine dans son ensemble ne contient pas un seul cas où un groupe est devenu
civilisé à moins d’être absolument monogame, pas plus qu’il n’existe de cas où
un groupe a maintenu sa culture après avoir adopté des coutumes moins
rigoureuses. Le mariage comme union à vie a été une condition de tous les
accomplissements humains, et son adoption a précédé toutes les manifestations
de l’énergie sociale, que cette énergie se soit exprimé à travers des
conquêtes, l’art ou la science, l’extension de la vision sociale, ou la
substitution du monothéisme par le polythéisme, et l’exaltation du concept de
Dieu unique.
Mon but est non
seulement de présenter ces données historiques, mais également de montrer que,
en plus d’être contemporains, ces faits sont intimement connectés, et que la monogamie indissoluble doit être
considérée comme le ressort de toute activité sociale, une condition nécessaire
au développement humain.
[…]
Dans chacun des
cas pour lesquels nous avons des données ininterrompues, la courbe du
développement (sauvagerie – civilisation – déclin) a suivi en parallèle de
la courbe des changements relatifs au mariage (union lâche – monogamie absolue
– monogamie modifiée ou polygamie). La question qui se pose alors est de savoir
si ces faits parallèles ont une relation et/ou un effet entre eux.
Une vérité simple
de la vie dévoile la réponse à cette question. A savoir : tout
accomplissement humain est le résultat de la sublimation de la force de vie ; c-a-d, est le
produit du détournement d’un pouvoir inné en d’autres formes d’expression.
[…] La vie est
une force mystérieuse, et ce qui se trouve au sein de l’homme ne peut peut-être
pas être purement décrit comme sexuel sans étendre la définition du terme. Mais
son expression la plus fondamentale est bien sexuelle. Je soumets que l’homme
en arrive à réguler les relations entre les sexes de telle manière à établir
des limites à l’utilisation de cette force de vie de façon purement animale
et sexuelle, et que ces limites le forcent à l’utiliser de différentes manières et
à la canaliser autrement. Une fois que l’homme a dominé son environnement au
point d’avoir du temps libre, si les coutumes qu’il a adoptées l’empêchent de
satisfaire ses désirs sexuels quand cela lui chante, il est forcé de se tourner
vers un exutoire pour exprimer son énergie. S’il n’a personne à combattre, le
contrôle de cette énergie amène l’homme vers la réflexion et la contemplation.
Son attention se détourne vers l’action, l’investigation des choses, la
manufacture d’objets qu’une observation antérieure a révélés avantageux… Plus
les coutumes relatives aux mariages sont strictes, plus la discipline qu’il
doit s’imposer est forte, moins ses pulsions naturelles peuvent trouver
satisfaction dans son appétit sexuel, et plus il est forcé à l’introspection, à
la réflexion sur les siens et son environnement…
[…] C’est le
contrôle de cette énergie, une expérience inconnue de tout autre animal, qui
est la première étape dans l’évolution de l’homme de l’état de sauvage, et qui
est la première cause de réflexion et de pensée. C’est la force de vie, privée de son exutoire premier, et exigeant une
porte de sortie, qui est la cause fondamentale de l’avancement et
l’accomplissement des sociétés ; et ce qui la détourne vers des formes
d’expression nouvelles n’est rien de moins que la loi qui gouverne le mariage.
[…] Tant que la
force de vie est exprimée à travers des formes sublimées de manifestation,
alors le progrès continue. Mais elle semble
revenir à son point de départ. Le
relâchement des liens du mariage – c-a-d le retour graduel à une union
temporaire initiée et interrompue par consentement – libère la compulsion. La
vision sociale, imposée sur la société par la rigueur de ses propres coutumes,
revient à ne plus considérer que le présent. La fierté dans le passé, la
responsabilité vis-à-vis du futur, disparaissent toutes deux. Et quand une
génération arrive qui n’a pas connu de discipline stricte mais qui passe ses
jeunes années dans une atmosphère où il est facile de succomber à ses pulsions,
elle n’ajoute rien à la génération qui est passée, mais, s’enfonçant dans la
léthargie, cherche juste à survivre, en proie à des forces qu’elle n’est plus
capable de contrôler. Sappée de son énergie par l'assouvissement de ses désirs, sa vision
réduite à une dimension unique, elle ne peut plus faire face à la cause
première des choses, alors vient une perte d’affirmation, des nerfs, un
reniement des dieux, et une peur du futur.
[1] Monogamie absolue = avoir un seul mari ou
une seule épouse à un moment donné, mais on présuppose des conditions par
lesquelles l’épouse est dominée par le mari.
Monogamie
modifiée = avoir un seul mari ou une seule épouse à un moment donné, cette
relation pouvant être interrompue par l’une des deux parties selon les
conditions établies par la loi.
Monogamie
indissoluble = mariage à vie entre un homme et une femme ne pouvant être rompu sous quelque prétexte que se soit.
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