Saturday, 8 October 2016

Sauver l'Afrique du Sud


Par Sipho Pityana


Le président Jacob Zuma lors d’un meeting à Pretoria le 20 février 2015.

Peu d’entre nous contesteraient le fait que l’Afrique du Sud est en crise. Cette crise touche l’économie, la société, et la sphère politique. C’est une crise alimentée par le clientélisme, la corruption, la mauvaise gestion, les pouvoirs dénués de garde-fous, et une apathie largement répandue. C’est une crise qui me force à persister dans mon appel à chaque citoyen fier de rejoindre le mouvement pour sauver l’Afrique du Sud.

C’est peut-être le devoir constitutionnel le plus important de n’importe quel président de protéger la souveraineté d’une nation. Pourtant c’est cette souveraineté, l’indépendance même de notre république, qui, je le crois, est menacée par des pots-de-vin endémiques et l’influence maligne de la part de notre gouvernement, par des intérêts fermement ancrés. Cela est, à mon avis, l’éléphant dans la salle.
En fait, ce phénomène est devenu si manifeste, si courant, qu’il existe une expression pour en parler – « la Capture Étatique. » Wikipédia définit la ‘Capture Étatique’ comme ‘un type de corruption politique systémique dans lequel les intérêts privés influence significativement les processus de prise de décisions par l’état en leur faveur…’
Malheureusement, comme pour l’Apartheid, c’est une expression typique sud-africaine de plus destinée à devenir tristement célèbre. Alors que la phrase est passée dans le langage courant, nous avons cessé de remettre en question l’existence du phénomène, mais cherchons désormais un raccourci pratique pour décrire son étendue.
Pendant que le débat sur la capture étatique fait rage et que la corruption se répand, nous avons un président qui – au mieux – est ‘disparu au combat.’ Au pire, il est un des responsables aux racines mêmes de cette crise, un qui a abrogé ses devoirs constitutionnels et fait face à la menace de centaines de poursuites pour corruption. Pendant ce temps, les plus proches de lui semblent être les bénéficiaires du désastre en termes de gouvernance et de bienséance en Afrique du Sud qui se déroule devant nos yeux.
Quand les membres de l’alliance gouvernementale – ceux qui savent – participent à une discussion claire et de plus en plus animée concernant un « état capturé, » on devrait demander comment la société, et le monde des affaires tant qu’à y être, devraient répliquer.

Pour moi, la réponse est de plus en plus limpide.

Quand les dirigeants échouent de manière aussi spectaculaire comme c’est le cas des nôtres, il revient au final à des citoyens lambda de trouver le courage de défendre la constitution, et la souveraineté qu’elle garantit.
S’il y a un assaut sur les économies du public, et une tentative apparente de débloquer les fonds du Trésor afin d’accroître le clientélisme bénéficiant de rares individus bien connectés, c’est la société civile – et cela inclut la communauté des affaires – qui doit exiger mieux que cela.
En essayant de trouver le courage d’agir, j’ai par le passé invoqué les mots de W. B. Rubusana, un enseignant, activiste, et un véritable unificateur sud-africain. Mais ses paroles – « Zemk’inkomo magwala ndini » - méritent d’être répétées.
La traduction littérale est : « Votre lâcheté vous coûte votre bétail. »
Dans les coutumes africaines, le bétail symbolise l’héritage et la richesse, et j’emprunte l’appel de Rubusana pour demander si nous allons succomber à nos instincts de préservation et abandonner la grande richesse et l’héritage qu’une Afrique du Sud libre et démocratique nous promet à nous et à nos enfants.
Ou alors nous unissons-nous pour nous dresser afin de sauver notre dû de naissance ?

Alors, pourquoi est-ce maintenant l’heure de nous dresser et de compter ?

La réponse est que nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre. Nous savons tous que la corruption se répand telle une vilaine marée noire à travers toute notre société – des pots-de-vin demandés de manière aléatoire à des stops dans les rues et la collusion pour fixer le prix du pain aux enveloppes marron nécessaires pour obtenir une maison au titre du Programme de Reconstruction et de Développement, ou, dans certains cas, des postes d’enseignant. Et tout cela semble culminer avec l’explosion de corruption au sein du gouvernement et des entreprises publiques qui se chiffre en milliards de rands.
Regardons les chiffres de plus près. Le Trésor Publique a identifié presque 26 milliards de rands de dépenses irrégulières à différents niveaux du gouvernement pour l’année fiscale passée. Vous vous demandez peut-être comment un échec de gouvernance de cette magnitude est possible, mais vous n’avez qu’à regarder le fait qu’environ 72% des branches du gouvernement et entreprises publiques ne satisfont pas les standards de gestion de la chaîne d’approvisionnement.
Encore plus effrayant est le fait que les occasions de toucher des pots-de-vin augmentent, en particulier quand on pense que les dépenses dans toutes les sphères du gouvernement atteindront 1.500 milliards de rands sur les trois prochaines années.
L’échec systémique de la part de nos entreprises publiques à rendre des comptes arrange parfaitement les intentions cachées des intérêts égoïstes qui cherchent à faire disparaître les aides publiques des deniers publics.
Cela les arrange également que le Trésor soit faible et accommodant, incapable ou peu amène à exercer son rôle adapté de supervision. Il semble de plus en plus clair que l’un de ces critères a été rempli, mais le Trésor reste sous pression, bien que ses défenses ont tenu le coup face à des attaques incessantes.

Notre jeune démocratie fait face à son test le plus exigeant jusque-là et ce sur plusieurs fronts. Et alors qu’il existe un effort incroyablement bien motivé et enthousiaste au sein de certains factions du gouvernement pour défendre – et même faire avancer – les intérêts des individus proches du centre du pouvoir, il ne semble pas qu’il y ait le même zèle pour s’attaquer aux problèmes les plus désespérés et les plus pressants qui nécessitent leadership et courage pour être résolus.
C’est une crise nationale que plus d’un tiers des personnes entre 15 et 34 ans soient sans emploi. Et c’est une tragédie qu’ils aient peu de chance de trouver un emploi tant que nous resterons sur notre trajectoire économique actuelle.
Pensez-y un instant…Plus d’une personne sur trois dans une portion croissante de la population n’ont aucun espoir de trouver un boulot, et leurs rangs grossissent chaque jour qui passe. C’est une poudrière.
Alors il n’est pas étonnant que nos rapports sur le trafic routier ressemblent à une liste de manifestations. Nos compatriotes, beaucoup étant á la marge de la société, descendent dans la rue pour faire connaître leur frustration face à la corruption, l’absence d’opportunités, et le manque de services de desserte.
Les étudiants – ne se faisant plus d’illusions et craignant le manque de chances pour leur avenir alors qu’ils sont sur le point de rejoindre l’économie du pays – disent ‘trop c’est trop.’ En dehors de leurs revendications pour une éducation gratuite, ils semblent avoir perdu la foi dans la capacité du gouvernement – ou même sa volonté – à trouver des solutions.
C’est un point de vue renforcé par la prestation affligeante de notre président  à Imbizo cette semaine, où il a évoqué quelques platitudes creuses avant de se sauver vers la sécurité de la Maison Luthuli. Son absence d’autorité morale lors de sa tentative d’intermédiation pour trouver une solution a été dévoilée aux yeux de tous.
Dans le contexte d’un gouvernement présidant une escalade sans précédent de gaspillage, de corruption, et de fuites de ressources publiques, devrait-on être surpris par la réaction des étudiants face à un état qui hausse simplement les épaules et vide ses poches, prétendant qu’il est à court d’argent ?

Chers amis du monde des affaires, en particulier ceux d’entre vous qui espèrent peut-être que la crise va vous éviter, réfléchissez-y à deux fois.
Il y a moins d’une semaine, on a vu des milliers d’étudiants disciplinés et calmes marcher jusqu’à la Chambre des Mines pour se faire entendre. Nous leur devons empathie et soutien.
Je profite de cette occasion pour plaider que nos enfants et nos étudiants impliqués dans les manifestations reconnaissent que dans un pays libre comme le nôtre, où le droit à l’éducation est un droit socio-économique pour lequel nous avons férocement combattu, qui est inscrit dans notre constitution ; personne ne devrait avoir à sacrifier ses études, sa jeunesse, ou pire risquer la criminalité, des blessures ou la mort afin d’accomplir ce noble objectif. Comme beaucoup, je suis profondément peiné par les heurts violents, la destruction aveugle de la propriété, et la menace vis-à-vis du projet éducatif. L’éducation demeure le meilleur outil pour l’émancipation. S’il-vous-plaît retournez en cours, alors seulement un processus crédible sera-t-il trouvé pour apporter des solutions durables aux problèmes que vous avez soumis à la nation, grâce à un dialogue tenu dans la paix.
Alors qu’on étudie l’économie politique, on devrait aussi s’inquiéter du fait que nous observons la proverbiale feuille de figuier qu’est la bienséance être de plus en plus rejetée, alors même que le mensonge et le vol deviennent plus effrontés.
Les dirigeants coupables de corruption ou de dol ne tombent plus sur leur épée pour le bien public. Ces jours-ci ils restent en poste, à l’abri de la honte et de l’opprobre et encouragés par leurs supérieurs. Et pourquoi pas, quand on a un président qui rigole littéralement lorsque confronté à toute suggestion que le gouvernement devrait être soumis à des standards plus exigeants – et est, en fait, le sponsor-en-chef de la corruption ?
Les murs de cette économie défaillante se referment sur nous, et la récession frappe à la porte de manière de plus en plus insistante.
La réponse des dirigeants de notre pays n’est pas de faire d’importants changements structuraux qui relanceraient la croissance dont nous avons besoin pour équilibrer notre économie. Elle n’est pas de se débarrasser de la corruption afin de libérer les ressources qui aideraient à s’attaquer aux inégalités structurelles.
Leur réponse est de ne pas fournir de certitude quant à leur politique – par exemple concernant le MPRDA et la Charte Minière ; ou le rôle de la Banque de Réserve d’Afrique du Sud et l’environnement de régulation du secteur financier. Et ce n’est clairement pas de mettre fin à la pourriture dans les compagnies publiques telles que SS, Eskom, Denel, et SABC, bien que le besoin de le faire est à l’évidence pressant.
Au lieu de ça, notre ministre des finances – un exemple rare de probité et de bonne gouvernance, un fonctionnaire distingué qui mène l’effort pour maintenir notre notation de crédit – subi des pressions et est intimidé de tous côtés. Les agences de notation sont méprisées. Les sociétés se voient mettre des bâtons dans les roues à chaque occasion. Les besoins des gens ordinaires sont ignorés.
Pendant ce temps, la méfiance croissante des investisseurs – tant ici qu’à l’étranger – érode peu à peu notre compétitivité, avec des conséquences à long terme potentiellement désastreuses.
Il y a également un mépris exprimé ouvertement vis-à-vis de la constitution, le document qui sous-tend notre démocratie elle-même et entérine les libertés fondamentales pour lesquelles beaucoup d’entre nous ont fait d’énormes sacrifices.
Les institutions du Chapitre IX, envisagées comme les gardiennes de la Constitution par personne d’autre qu’Oliver Tambo, ont été attaquées, sapées, ou simplement ignorées.
La honte nous incombe que la société civile et autres groupes concernés soient forcés encore et encore de se tourner vers les tribunaux pour s’assurer que la constitution est respectée par les dirigeants de notre pays. Et même là – ce qui est de mauvais augure pour nous tous – la conformité n’est pas garantie.

Il n’y a qu’à nous tourner vers les dirigeants de notre télé d’état pour trouver un exemple flagrant – et très public – de ce mépris évident pour le judiciaire qui traîne depuis si longtemps, avec un coût élevé en termes tant monétaire que de réputation. Ce serait drôle si ce n’était pas si grave.
Le problème de la capture étatique et de la corruption, et leurs maux attenants, semble souvent si étendu, si accablant, qu’il est difficile de savoir quoi faire à son sujet.
Une stratégie est de s’y laisser prendre. De se jeter corps et âme du côté des intérêts personnels qui ont tout à gagner à saper tout ce que représentait l’Afrique du Sud quand nous faisions la queue pour notre premier vote démocratique en 1994.

Dieu sait que nombre d’individus ont placé leur intérêt personnel au-dessus de tout le reste. Ce sont les groupements d’intérêt qui permettent la création d’une kleptocratie, encourageant le statu quo. Après tout, pourquoi mettre fin à un système dont vous tirez profit ?
Une autre stratégie est de garder le silence. Ne pas faire de remous, et espérer – en dépit du bon sens – que les choses s’amélioreront. Ne pas taper du poing sur la table en exigeant un gouvernement propre, réactif, qui promeut la croissance et met fin aux inégalités. Ne pas s’exprimer énergiquement de peur de mettre en colère ceux qui régulent l’industrie, distribuent des aides, ou opèrent par clientélisme.
Ce silence est précisément ce que certains au sein du gouvernement souhaitent. Garder les problèmes difficiles ou injustifiables loin du tribunal de l’opinion publique, et par pitié n’osez pas tenir pour responsables nos dirigeants publiquement.
Pendant très longtemps, notre gouvernement a bénéficié d’un secteur privé obéissant qui a pour l’essentiel maintenu les conversations ardues derrière des portes closes. La diplomatie calme, peut-être.

Ceux qui ont choisi de s’aventurer à une critique plus ouverte ont été attaqués, leur réputation sapée, et menacés de conséquences économiques sévères pour leur franchise. Rappelez-vous l’avertissement de Reuel Khoza en 2012 selon lequel la corruption et la mauvaise gouvernance devaient être inspectées, ou alors nous allions faire face à une crise en Afrique du Sud.
Sa prévision s’est réalisée, et nous avons besoin d’une sérieuse session d’introspection pour comprendre pourquoi – en tant que membres du monde des affaires – nous l’avons laissé subir des attaques tant de membres du gouvernement par procuration que de ses pairs, en dépit du fait que nous savions qu’il disait la vérité.
Nous sommes dans une période clé de notre jeune démocratie. Il y a des conflagrations partout, et nombre de nos dirigeants – notre président non des moindre – ont des intentions cachées qui semblent – du moins pour moi – être à l’exact opposé des réponses aux besoins de plus en plus désespérés de notre pays.

On ne peut pas faire comme si de rien n’était. Nous devons nous éveiller à ce que nos jeunes étudiants perçoivent déjà, et qui est que le monde des affaires a un rôle vital à jouer dans la sauvegarde de l’Afrique du Sud. Mais on gaspille un temps précieux.
Tout d’abord, le monde des affaires doit accepter qu’il a une voix qui mérite d’être entendue au sein de la société – il envoie les enfants à l’école et aide à payer les retraites. Il investit dans et construit les infrastructures, fournit médicaments et soins, et nous permet de communiquer.
Les entreprises sont présentes dans chaque foyer et notre pays d’une manière ou d’une autre, et pourtant elles ne se font pas entendre dans le dialogue social sur les sujets les plus brûlants du jour.
Pourtant, ces dernières semaines, certains ont commencé à reconnaître l’importance de parler à voix haute. Business Leadership South Africa et Business Unity South Africa ont tous deux commencé à poser les bonnes questions. Les PDG de FirstRand, Sibanye Gold et De Beers ont également partagé leurs inquiétudes.

On a également vu des églises expliquer leurs appréhensions vis-à-vis de nos dirigeants et de l’état de notre nation. La société civile parle et à elle se joignent des ONG, des étudiants et des professeurs. On a vu les partis d’oppositions réagir, et une clameur croissante sur les médias sociaux explique une chose, sur laquelle je suis d’accord : « Zuma doit partir. »

Même au sein de l’alliance avec l’ANC, les gens se font entendre. Le SACP a clairement dit qu’il n’était pas content de la direction prise par la direction actuelle. Les syndicats à l’intérieur du Cosatu se désolidarisent, et même des branches individuelles de l’ANC, et des lobbies tels que ceux qui ont organisé #OccupyLuthuliHouse, disent que trop c’est trop.
Les enjeux pour ceux à l’intérieur de l’alliance sont incroyablement élevés – pourtant ils ont trouvé le courage de défier leurs pairs.
Et pendant que les entreprises ont fait des pas hésitants vers une confrontation de la menace, ces avancées ne sont ni suffisamment claires ni suffisamment insistantes. Le fait est que si chacun de nous continue à baisser les yeux, à protéger ses intérêts individuels étroits, l’environnement entrepreneurial que nous avons désespérément tenté de protéger par notre silence deviendra purement et simplement ingérable.

La réalité est qu’un nombre croissant de gens et de groupes dans la société civile sont d’accord que les vannes de la corruption ont été grand ouvertes, et elles évacuent le sang même de notre économie.
Nous pouvons être d’accord sur le fait que nous vivons dans une société démocratique, et que nous avons une constitution qui mérite d’être protégée.
Nous pouvons faire cause commune dans la croyance que nous méritons un meilleur leadership que celui que nous avons à présent, et que nous exigeons un gouvernement propre, transparent, et devant rendre des comptes ; un gouvernement qui a les plus grands intérêts de ses citoyens à cœur.
Nous pouvons, et nous devons, être d’accord que sous le régime de Zuma, le gouvernement est incapable de réformes sincères. Par conséquent, il doit partir.
L’éléphant dans la pièce est un président qui manque d’intégrité et d’honneur. On ne peut se tenir à aucune des promesses qu’il a faites à aucun des segments de la population, parce qu’il manque d’intégrité.

Cela nécessite du courage. Cela nécessite de la constance. Cela nécessite de la solidarité. Cela nécessite que les entreprises et autres agissent de concert par solidarité. Cela nécessite que nous nous écoutions les uns les autres. Et cela nécessite que nous le fassions maintenant.

Nous devons saisir le moment, et sauver l’Afrique du Sud. Avant qu’il ne soit trop tard.

No comments:

Post a Comment