Par Sipho Pityana
Le président
Jacob Zuma lors d’un meeting à Pretoria le 20 février 2015.
Peu d’entre nous contesteraient le fait que
l’Afrique du Sud est en crise. Cette crise touche l’économie, la société, et la
sphère politique. C’est une crise alimentée par le clientélisme, la corruption,
la mauvaise gestion, les pouvoirs dénués de garde-fous, et une apathie
largement répandue. C’est une crise qui me force à persister dans mon appel à
chaque citoyen fier de rejoindre le mouvement pour sauver l’Afrique du Sud.
C’est peut-être
le devoir constitutionnel le plus important de n’importe quel président de
protéger la souveraineté d’une nation. Pourtant c’est cette souveraineté,
l’indépendance même de notre république, qui, je le crois, est menacée par des
pots-de-vin endémiques et l’influence maligne de la part de notre gouvernement,
par des intérêts fermement ancrés. Cela est, à mon avis, l’éléphant dans la
salle.
En fait, ce
phénomène est devenu si manifeste, si courant, qu’il existe une expression pour
en parler – « la Capture Étatique. » Wikipédia définit la ‘Capture
Étatique’ comme ‘un type de corruption politique systémique dans lequel les
intérêts privés influence significativement les processus de prise de décisions
par l’état en leur faveur…’
Malheureusement,
comme pour l’Apartheid, c’est une expression typique sud-africaine de plus
destinée à devenir tristement célèbre. Alors que la phrase est passée dans le
langage courant, nous avons cessé de remettre en question l’existence du
phénomène, mais cherchons désormais un raccourci pratique pour décrire son
étendue.
Pendant que le
débat sur la capture étatique fait rage et que la corruption se répand, nous
avons un président qui – au mieux – est ‘disparu au combat.’ Au pire, il est un
des responsables aux racines mêmes de cette crise, un qui a abrogé ses devoirs
constitutionnels et fait face à la menace de centaines de poursuites pour
corruption. Pendant ce temps, les plus proches de lui semblent être les
bénéficiaires du désastre en termes de gouvernance et de bienséance en Afrique
du Sud qui se déroule devant nos yeux.
Quand les membres
de l’alliance gouvernementale – ceux qui savent – participent à une discussion
claire et de plus en plus animée concernant un « état capturé, » on
devrait demander comment la société, et le monde des affaires tant qu’à y être,
devraient répliquer.
Pour moi, la
réponse est de plus en plus limpide.
Quand les
dirigeants échouent de manière aussi spectaculaire comme c’est le cas des
nôtres, il revient au final à des citoyens lambda de trouver le courage de
défendre la constitution, et la souveraineté qu’elle garantit.
S’il y a un
assaut sur les économies du public, et une tentative apparente de débloquer les
fonds du Trésor afin d’accroître le clientélisme bénéficiant de rares individus
bien connectés, c’est la société civile – et cela inclut la communauté des
affaires – qui doit exiger mieux que cela.
En essayant de
trouver le courage d’agir, j’ai par le passé invoqué les mots de W. B.
Rubusana, un enseignant, activiste, et un véritable unificateur sud-africain.
Mais ses paroles – « Zemk’inkomo magwala ndini » - méritent d’être
répétées.
La traduction
littérale est : « Votre lâcheté vous coûte votre bétail. »
Dans les coutumes
africaines, le bétail symbolise l’héritage et la richesse, et j’emprunte
l’appel de Rubusana pour demander si nous allons succomber à nos instincts de
préservation et abandonner la grande richesse et l’héritage qu’une Afrique du
Sud libre et démocratique nous promet à nous et à nos enfants.
Ou alors nous
unissons-nous pour nous dresser afin de sauver notre dû de naissance ?
Alors, pourquoi
est-ce maintenant l’heure de nous dresser et de compter ?
La réponse est
que nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre. Nous savons tous que la
corruption se répand telle une vilaine marée noire à travers toute notre
société – des pots-de-vin demandés de manière aléatoire à des stops dans les
rues et la collusion pour fixer le prix du pain aux enveloppes marron
nécessaires pour obtenir une maison au titre du Programme de Reconstruction et
de Développement, ou, dans certains cas, des postes d’enseignant. Et tout cela
semble culminer avec l’explosion de corruption au sein du gouvernement et des
entreprises publiques qui se chiffre en milliards de rands.
Regardons les
chiffres de plus près. Le Trésor Publique a identifié presque 26 milliards de
rands de dépenses irrégulières à différents niveaux du gouvernement pour
l’année fiscale passée. Vous vous demandez peut-être comment un échec de
gouvernance de cette magnitude est possible, mais vous n’avez qu’à regarder le
fait qu’environ 72% des branches du gouvernement et entreprises publiques ne
satisfont pas les standards de gestion de la chaîne d’approvisionnement.
Encore plus
effrayant est le fait que les occasions de toucher des pots-de-vin augmentent,
en particulier quand on pense que les dépenses dans toutes les sphères du
gouvernement atteindront 1.500 milliards de rands sur les trois prochaines
années.
L’échec
systémique de la part de nos entreprises publiques à rendre des comptes arrange
parfaitement les intentions cachées des intérêts égoïstes qui cherchent à faire
disparaître les aides publiques des deniers publics.
Cela les arrange
également que le Trésor soit faible et accommodant, incapable ou peu amène à
exercer son rôle adapté de supervision. Il semble de plus en plus clair que
l’un de ces critères a été rempli, mais le Trésor reste sous pression, bien que
ses défenses ont tenu le coup face à des attaques incessantes.
Notre jeune
démocratie fait face à son test le plus exigeant jusque-là et ce sur plusieurs
fronts. Et alors qu’il existe un effort incroyablement bien motivé et
enthousiaste au sein de certains factions du gouvernement pour défendre – et
même faire avancer – les intérêts des individus proches du centre du pouvoir,
il ne semble pas qu’il y ait le même zèle pour s’attaquer aux problèmes les
plus désespérés et les plus pressants qui nécessitent leadership et courage
pour être résolus.
C’est une crise
nationale que plus d’un tiers des personnes entre 15 et 34 ans soient sans
emploi. Et c’est une tragédie qu’ils aient peu de chance de trouver un emploi
tant que nous resterons sur notre trajectoire économique actuelle.
Pensez-y un
instant…Plus d’une personne sur trois dans une portion croissante de la
population n’ont aucun espoir de trouver un boulot, et leurs rangs grossissent
chaque jour qui passe. C’est une poudrière.
Alors il n’est
pas étonnant que nos rapports sur le trafic routier ressemblent à une liste de
manifestations. Nos compatriotes, beaucoup étant á la marge de la société,
descendent dans la rue pour faire connaître leur frustration face à la
corruption, l’absence d’opportunités, et le manque de services de desserte.
Les étudiants –
ne se faisant plus d’illusions et craignant le manque de chances pour leur
avenir alors qu’ils sont sur le point de rejoindre l’économie du pays – disent
‘trop c’est trop.’ En dehors de leurs revendications pour une éducation
gratuite, ils semblent avoir perdu la foi dans la capacité du gouvernement – ou
même sa volonté – à trouver des solutions.
C’est un point de
vue renforcé par la prestation affligeante de notre président à Imbizo cette semaine, où il a évoqué
quelques platitudes creuses avant de se sauver vers la sécurité de la Maison
Luthuli. Son absence d’autorité morale lors de sa tentative d’intermédiation
pour trouver une solution a été dévoilée aux yeux de tous.
Dans le contexte
d’un gouvernement présidant une escalade sans précédent de gaspillage, de
corruption, et de fuites de ressources publiques, devrait-on être surpris par
la réaction des étudiants face à un état qui hausse simplement les épaules et
vide ses poches, prétendant qu’il est à court d’argent ?
Chers amis du
monde des affaires, en particulier ceux d’entre vous qui espèrent peut-être que
la crise va vous éviter, réfléchissez-y à deux fois.
Il y a moins
d’une semaine, on a vu des milliers d’étudiants disciplinés et calmes marcher
jusqu’à la Chambre des Mines pour se faire entendre. Nous leur devons empathie
et soutien.
Je profite de
cette occasion pour plaider que nos enfants et nos étudiants impliqués dans les
manifestations reconnaissent que dans un pays libre comme le nôtre, où le droit
à l’éducation est un droit socio-économique pour lequel nous avons férocement
combattu, qui est inscrit dans notre constitution ; personne ne devrait
avoir à sacrifier ses études, sa jeunesse, ou pire risquer la criminalité, des blessures
ou la mort afin d’accomplir ce noble objectif. Comme beaucoup, je suis
profondément peiné par les heurts violents, la destruction aveugle de la
propriété, et la menace vis-à-vis du projet éducatif. L’éducation demeure le
meilleur outil pour l’émancipation. S’il-vous-plaît retournez en cours, alors
seulement un processus crédible sera-t-il trouvé pour apporter des solutions
durables aux problèmes que vous avez soumis à la nation, grâce à un dialogue
tenu dans la paix.
Alors qu’on
étudie l’économie politique, on devrait aussi s’inquiéter du fait que nous
observons la proverbiale feuille de figuier qu’est la bienséance être de plus
en plus rejetée, alors même que le mensonge et le vol deviennent plus effrontés.
Les dirigeants
coupables de corruption ou de dol ne tombent plus sur leur épée pour le bien
public. Ces jours-ci ils restent en poste, à l’abri de la honte et de
l’opprobre et encouragés par leurs supérieurs. Et pourquoi pas, quand on a un
président qui rigole littéralement lorsque confronté à toute suggestion que le
gouvernement devrait être soumis à des standards plus exigeants – et est, en
fait, le sponsor-en-chef de la corruption ?
Les murs de cette
économie défaillante se referment sur nous, et la récession frappe à la porte de
manière de plus en plus insistante.
La réponse des
dirigeants de notre pays n’est pas de faire d’importants changements
structuraux qui relanceraient la croissance dont nous avons besoin pour
équilibrer notre économie. Elle n’est pas de se débarrasser de la corruption
afin de libérer les ressources qui aideraient à s’attaquer aux inégalités
structurelles.
Leur réponse est
de ne pas fournir de certitude quant à leur politique – par exemple concernant
le MPRDA et la Charte Minière ; ou le rôle de la Banque de Réserve
d’Afrique du Sud et l’environnement de régulation du secteur financier. Et ce
n’est clairement pas de mettre fin à la pourriture dans les compagnies
publiques telles que SS, Eskom, Denel, et SABC, bien que le besoin de le faire
est à l’évidence pressant.
Au lieu de ça,
notre ministre des finances – un exemple rare de probité et de bonne
gouvernance, un fonctionnaire distingué qui mène l’effort pour maintenir notre
notation de crédit – subi des pressions et est intimidé de tous côtés. Les
agences de notation sont méprisées. Les sociétés se voient mettre des bâtons
dans les roues à chaque occasion. Les besoins des gens ordinaires sont ignorés.
Pendant ce temps,
la méfiance croissante des investisseurs – tant ici qu’à l’étranger – érode peu
à peu notre compétitivité, avec des conséquences à long terme potentiellement
désastreuses.
Il y a également
un mépris exprimé ouvertement vis-à-vis de la constitution, le document qui
sous-tend notre démocratie elle-même et entérine les libertés fondamentales
pour lesquelles beaucoup d’entre nous ont fait d’énormes sacrifices.
Les institutions
du Chapitre IX, envisagées comme les gardiennes de la Constitution par personne
d’autre qu’Oliver Tambo, ont été attaquées, sapées, ou simplement ignorées.
La honte nous
incombe que la société civile et autres groupes concernés soient forcés encore
et encore de se tourner vers les tribunaux pour s’assurer que la constitution
est respectée par les dirigeants de notre pays. Et même là – ce qui est de
mauvais augure pour nous tous – la conformité n’est pas garantie.
Il n’y a qu’à
nous tourner vers les dirigeants de notre télé d’état pour trouver un exemple
flagrant – et très public – de ce mépris évident pour le judiciaire qui traîne
depuis si longtemps, avec un coût élevé en termes tant monétaire que de
réputation. Ce serait drôle si ce n’était pas si grave.
Le problème de la
capture étatique et de la corruption, et leurs maux attenants, semble souvent
si étendu, si accablant, qu’il est difficile de savoir quoi faire à son sujet.
Une stratégie est
de s’y laisser prendre. De se jeter corps et âme du côté des intérêts
personnels qui ont tout à gagner à saper tout ce que représentait l’Afrique du
Sud quand nous faisions la queue pour notre premier vote démocratique en 1994.
Dieu sait que
nombre d’individus ont placé leur intérêt personnel au-dessus de tout le reste.
Ce sont les groupements d’intérêt qui permettent la création d’une
kleptocratie, encourageant le statu quo. Après tout, pourquoi mettre fin à un
système dont vous tirez profit ?
Une autre stratégie
est de garder le silence. Ne pas faire de remous, et espérer – en dépit du bon
sens – que les choses s’amélioreront. Ne pas taper du poing sur la table en
exigeant un gouvernement propre, réactif, qui promeut la croissance et met fin
aux inégalités. Ne pas s’exprimer énergiquement de peur de mettre en colère
ceux qui régulent l’industrie, distribuent des aides, ou opèrent par
clientélisme.
Ce silence est
précisément ce que certains au sein du gouvernement souhaitent. Garder les
problèmes difficiles ou injustifiables loin du tribunal de l’opinion publique,
et par pitié n’osez pas tenir pour responsables nos dirigeants publiquement.
Pendant très
longtemps, notre gouvernement a bénéficié d’un secteur privé obéissant qui a
pour l’essentiel maintenu les conversations ardues derrière des portes closes.
La diplomatie calme, peut-être.
Ceux qui ont
choisi de s’aventurer à une critique plus ouverte ont été attaqués, leur
réputation sapée, et menacés de conséquences économiques sévères pour leur
franchise. Rappelez-vous l’avertissement de Reuel Khoza en 2012 selon lequel la
corruption et la mauvaise gouvernance devaient être inspectées, ou alors nous
allions faire face à une crise en Afrique du Sud.
Sa prévision
s’est réalisée, et nous avons besoin d’une sérieuse session d’introspection
pour comprendre pourquoi – en tant que membres du monde des affaires – nous
l’avons laissé subir des attaques tant de membres du gouvernement par
procuration que de ses pairs, en dépit du fait que nous savions qu’il disait la
vérité.
Nous sommes dans
une période clé de notre jeune démocratie. Il y a des conflagrations partout,
et nombre de nos dirigeants – notre président non des moindre – ont des
intentions cachées qui semblent – du moins pour moi – être à l’exact opposé des
réponses aux besoins de plus en plus désespérés de notre pays.
On ne peut pas
faire comme si de rien n’était. Nous devons nous éveiller à ce que nos jeunes
étudiants perçoivent déjà, et qui est que le monde des affaires a un rôle vital
à jouer dans la sauvegarde de l’Afrique du Sud. Mais on gaspille un temps
précieux.
Tout d’abord, le
monde des affaires doit accepter qu’il a une voix qui mérite d’être entendue au
sein de la société – il envoie les enfants à l’école et aide à payer les
retraites. Il investit dans et construit les infrastructures, fournit
médicaments et soins, et nous permet de communiquer.
Les entreprises
sont présentes dans chaque foyer et notre pays d’une manière ou d’une autre, et
pourtant elles ne se font pas entendre dans le dialogue social sur les sujets
les plus brûlants du jour.
Pourtant, ces
dernières semaines, certains ont commencé à reconnaître l’importance de parler
à voix haute. Business Leadership South Africa et Business Unity South Africa
ont tous deux commencé à poser les bonnes questions. Les PDG de FirstRand,
Sibanye Gold et De Beers ont également partagé leurs inquiétudes.
On a également vu
des églises expliquer leurs appréhensions vis-à-vis de nos dirigeants et de
l’état de notre nation. La société civile parle et à elle se joignent des ONG,
des étudiants et des professeurs. On a vu les partis d’oppositions réagir, et
une clameur croissante sur les médias sociaux explique une chose, sur laquelle
je suis d’accord : « Zuma doit
partir. »
Même au sein de
l’alliance avec l’ANC, les gens se font entendre. Le SACP a
clairement dit qu’il n’était pas content de la direction prise par la direction
actuelle. Les syndicats à l’intérieur du Cosatu se désolidarisent, et même des
branches individuelles de l’ANC, et des lobbies tels que ceux qui ont organisé
#OccupyLuthuliHouse, disent que trop c’est trop.
Les enjeux pour
ceux à l’intérieur de l’alliance sont incroyablement élevés – pourtant ils ont
trouvé le courage de défier leurs pairs.
Et pendant que
les entreprises ont fait des pas hésitants vers une confrontation de la menace,
ces avancées ne sont ni suffisamment claires ni suffisamment insistantes. Le
fait est que si chacun de nous continue à baisser les yeux, à protéger ses
intérêts individuels étroits, l’environnement entrepreneurial que nous avons
désespérément tenté de protéger par notre silence deviendra purement et
simplement ingérable.
La réalité est
qu’un nombre croissant de gens et de groupes dans la société civile sont
d’accord que les vannes de la corruption ont été grand ouvertes, et elles
évacuent le sang même de notre économie.
Nous pouvons être
d’accord sur le fait que nous vivons dans une société démocratique, et que nous
avons une constitution qui mérite d’être protégée.
Nous pouvons
faire cause commune dans la croyance que nous méritons un meilleur leadership
que celui que nous avons à présent, et que nous exigeons un gouvernement
propre, transparent, et devant rendre des comptes ; un gouvernement qui a
les plus grands intérêts de ses citoyens à cœur.
Nous pouvons, et
nous devons, être d’accord que sous le régime de Zuma, le gouvernement est
incapable de réformes sincères. Par conséquent, il doit partir.
L’éléphant dans
la pièce est un président qui manque d’intégrité et d’honneur. On ne peut se
tenir à aucune des promesses qu’il a faites à aucun des segments de la
population, parce qu’il manque d’intégrité.
Cela nécessite du
courage. Cela nécessite de la constance. Cela nécessite de la solidarité. Cela
nécessite que les entreprises et autres agissent de concert par solidarité.
Cela nécessite que nous nous écoutions les uns les autres. Et cela nécessite
que nous le fassions maintenant.
No comments:
Post a Comment