Fragment d’un
blog tenu par un Russe qui est allé en voyage d’affaire en Afrique du Sud. (21/08/14)
Mon pote et moi
devions passer en gros 10h à Johannesburg [Joburg]. On avait demandé à Mikhaïl
et il avait convaincu un taxi kamikaze de nous emmener faire un tour du
centre-ville. Nous, 2 abrutis qu’on était, pensions qu’ils exagéraient avec le
danger dans la ville juste pour nous faire peur. On pensait qu’on arriverait au
centre, qu’on se baladerait dedans pour montrer que les Russes n’ont peur de
rien.
Au final on n’a
rien fait de tout ça, et de loin.
La raison ?
On a failli se
chier dessus.
*****
La descente sur
Joburg depuis le plateau donne l’impression que la ville est géniale. Belle,
énorme, moderne. Qqs gratte-ciel par-ci par-là, qqs immeubles victoriens. Des
pelouses vertes, le ciel bleu.
Mais en entrant
dans la ville elle-même, le tableau a drastiquement changé.
Elle avait l’air
complètement abandonnée. Il n’y avait pas d’électricité. Des monceaux d’ordures
traînaient dans la rue. Des conduites d’égouts percées inondaient plusieurs
endroits.
Le seul endroit
dégagé était la route principale, les seules sources de lumière fonctionnelles
les sémaphores.
Et je parle du
centre-ville, le coin à peu près sûr de la ville.
Avant de monter
dans la voiture, le conducteur a demandé à Mikhaïl de lire la liste des choses
à faire et ne pas faire. Il semblait tendu, déglutissant fréquemment et jetant
des regards suspicieux autour de lui. Il nous a dit :
« Si vous
voulez survivre à ça, faites exactement ce que je dis. Après qu’on est entré en
ville, PAS DE BRUITS FORTS, N’ATTIREZ L’ATTENTION DE PERSONNE ! AUCUN
TÉLÉPHONE ET/OU APPAREIL PHOTO avec flash dans la voiture ! NE REGARDEZ
PAS LES GOULES [les Noirs] DANS LES YEUX ! Et quoi qu’il arrive, N’OUVREZ
PAS LES VITRES ! Parce qu’un lampadaire peut tomber, bloquer la
route, et les goules nous assiègeront. Et rappelez-vous que j’ai des gosses,
alors obéissez au moins à ces règles pour mon bien… »
On a passé deux
heures à conduire dans le centre-ville.
C’était suffisamment
silencieux dans le véhicule pour entendre les mouches voler.
Pour comprendre
ce qui est arrivé à la ville, un petit retour historique est le bienvenu.
*****
Après la fin de
l’apartheid, deux millions d’Africains ont inondé la ville, initiant l’ère de la
Reconquista africaine. Ils n’étaient pas natifs d’ici, ils sont juste partis de
leurs habitations dans le désert et ont débarqué n’importe où où la vie était
meilleure. Mikhaïl, vivait à Joburg à l’époque et nous a raconté l’histoire
suivante :
En plein milieu
d’un jour ouvré, qqch s’est passé.
Les portes de
l’immeuble se sont ouvertes et une foule désorganisée de plusieurs milliers de
Noirs s’est précipitée, amenant leurs affaires avec eux dans d’énormes sacs.
Ils nous ont demandé de ne pas prêter attention à eux et de continuer de
travailler, alors même qu’ils se répandaient dans le bâtiment et occupaient
chaque m2 disponible. Les fauteuils, les tabourets, les canapés, les toilettes
et couloirs – ils étaient partout, discutant joyeusement et ne perdant pas de
temps pour prendre toutes les petites choses clinquantes que les occupants
originels de l’immeuble avaient sur eux.
Un brouhaha a
suivi. Des poulets étaient égorgés dans les couloirs, les tables des salles de
conférence étaient transformées en tables de cuisson, les toilettes étaient
devenues des salles de bain.
La question polie
« Que se passe-t-il ? » avait pour réponse « C’est notre
maison désormais. »
La question
suivante et moins polie « Comment ça, putain ?! » se voyait
rétorquer « Ce sera meilleur pour tout le monde. »
Mikhaïl a appelé
les flics.
Les flics ne sont
pas venus.
Ils se sont
excusés et ont expliqué que la même chose se déroulait partout en ville.
Puis, tous ceux
qui pouvaient ont commencé à fuir la ville en silence, sont partis pour la
banlieue et pour Le Cap, tout en érigeant des barrières pour bloquer les
chemins – haies, fosses, clôtures électriques. Le dernier district de Joburg où
vous pouvez encore rencontrer un Blanc aujourd’hui est la banlieue [de?] Pretoria.
Après un exode
massif, les propriétaires de l’immeuble se sont demandé quoi faire.
Bingo ! Ils
ont pensé que s’ils coupaient l’électricité, l’eau, et les évacuations, les
goules repartiraient pour la savane.
Alors ils ont
tout coupé.
Les goules n’ont
même pas remarqué.
Bien sûr, dans la
savane ils n’avaient rien de tout ce confort moderne.
« Où
chient-ils dans ce cas ? » j’ai demandé à Mikhaïl.
Mikhaïl m’a dit
que les proprios eux-mêmes étaient perplexes – et choqués quand ils ont
découvert la réponse.
Après avoir envahi
l’immeuble, aucune des goules n’a réussi à comprendre à quoi servaient les
cages d’ascenseur. Une fois qu’ils ont eu arraché les portes, ils ont mis qqs
jours à se creuser la tête et à cracher dans l’obscurité, jusqu’à ce que la
lumière se fasse.
« Les blancs
sont des génies de l’anticipation, » ont pensé les goules, et les cages
sont devenues à la fois de toilettes et des dépotoirs depuis lors.
Selon Mikhaïl, il
faut en gros 10 ans pour qu’une horde de goule moyenne pourrisse un immeuble de
bureaux au point d’être absolument inhabitable. Après ça, comme à la bonne
époque préhistorique, la horde migre vers de nouveaux pâturages, occupant un
nouvel immeuble.
*****
On a conduit dans
les rues de Joburg, collés aux vitres de la voiture, dévorant le paysage de nos
yeux. Des maisons modernes à la mode avec les vitres barrées de planches
défilaient devant nous. Quand on passait devant l’une des rares fenêtres
ouvertes, on pouvait voir des feux à l’intérieur, des goules couchées ou
marchant autour.
Selon Mikhaïl, un
nouveau type de service informel est apparu à Joburg. Des groupes de durs à
cuire proposent de reprendre des bâtiments aux goules. Voilà comment ça se
passe : Rapidement, ils attrapent les goules qui dorment et commencent
simplement à les jeter dehors, tout en essayant de ne pas réveiller tout le
monde. Avant que la horde comprenne ce qui arrive et se mette à exprimer son
mécontentement, les voyous soudent toutes les portes et fenêtres du premier
étage et installent une clôture électrique. Après que l’immeuble a été nettoyé
et réaménagé, ils en font un immeuble de bureaux à nouveau.
C’est ainsi que
ce qu’il reste de la population blanche de Joburg vit et travaille. Le soir et
la nuit ils se tiennent derrière des portes blindées et des gardes de sécurité.
Le matin ils montent dans leurs voitures et vite, sans s’arrêter, vont de leur
forteresse au boulot. Après une course rapide dans des rues +/- sures, ils
plongent dans l’un des tranchées gardées qui mènent aux parkings souterrains.
Et cela conclut leur arrivée au bureau.
Un autre truc
marrant que j’ai remarqué : si deux immeubles « vivants » sont
proches, ils sont souvent connectés par un passage aérien au 10ème
ou 11ème étage. Du coup les mecs peuvent se rendre visite s’ils
veulent. Le truc c’est de ne pas regarder en bas. En bas c’est le territoire
des goules.
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